Le slam de Narcisse - "Eux, ils soignent"
Mar 14 Avr - 16:32
Bonjour à tous !
Le COVID-19 est maintenant dans l'actualité depuis des semaines.
Comme beaucoup, vous suivez sans doute les informations, les réseaux sociaux et tout ce qui touche à ce virus terrible qui nous oblige à rester confinés chez nous.
Vous le savez, les personnels soignants sont les premiers au contact des malades. Leur travail au quotidien est formidable et difficile. Ils prennent beaucoup de risques pour eux-mêmes afin de soigner ceux qui souffrent.
Ce dévouement suscite l'admiration de nombreuses personnes et certains applaudissent même à leurs fenêtres, tous les soirs à 20h, pour les remercier.
Que vous soyez pour ou contre ce genre de manifestation, là n'est pas l'intérêt de cet article.
J'aimerais simplement partager avec vous le slam de Narcisse, Eux, ils soignent, qui, sur le plan technique et langagier, est très intéressant.
Qui est Narcisse ?
Narcisse, de son vrai nom Jean-Baptiste Humair, est un auteur, compositeur, musicien et slameur suisse né en 1967. Il a remporté le tournoi individuel de la Ligue slam de France en 2013.
Voir la page Wikipédia qui lui est destinée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Narcisse_(artiste)
Qu'est-ce que le Slam ?
Les 4èmes le savent, nous avons étudié deux slams de Grand Corps Malade (Roméo kiffe Juliette et Tant que les gens font l'amour), mais une révision ne fait jamais de mal et les 5èmes ont peut-être besoin de précisions.
Le slam naît à la fin des années 80 à Chicago.
Tout a commencé par des compétitions de poésie sur le modèle des matchs de boxe. En 1986, un poète de Chicago, Marc Smith, développe cet art et le fait connaître en dehors de la ville : New-York et d'autres villes suivent.
« Slam » est un terme qui désigne un claquement, un écrasement. L'étymologie montre l'idée de combat : les compétitions de slam sont des tournois de mots.
C'est une poésie orale totalement libre, très rythmée et « a cappella » (sans instrument).
Surtout déclamée dans des espaces publics (dans la rue, les bars, les cafés, les théâtres ou sur internet), cette poésie permet aux personnes sur scène de dire leur textes dans la forme qu'elles désirent (parlé, chanté, rythmé ou non...).
Ecoutez le slam de Narcisse et observez le texte :
Paroles du slam "Eux, ils soignent"
Tandis que nous chantons, certains soirs au balcon
Et que ceux qui comme moi, ne savent pas chanter
Essaient aussi parfois d’enchanter sans chanter
Pour que d’autres nous rejoignent…
Eux ils soignent
Et tandis qu’on dort même plus
Qu’on lit pour passer l’temps la Peste de Camus.
Tandis que nos enfants, coincés à la maison
Nous font prendre fermement la bonne résolution,
Qu’à la fin du printemps on fera sans façon
A tous les enseignants un bisou sur le front.
Parce que l’éducation par papa et maman
C’est une sacrée montagne
Eux ils soignent
Tandis que même passer dans les rues sans passants
Fait partie du passé.
Tandis qu’on n’a pas su, comment éviter ça
Ni comment s’en passer, qu’on n’a pas vu les signes.
Eux ils soignent
Et tandis qu’on se plaint des lacunes de Pékin
De la bourse en piqué, Des coop sans PQ,
Des journées sans copains, Sans sortie en campagne,
Sans soirée au champagne…
Eux ils soignent
Tandis que la nature prend enfin du bon temps
Un printemps dans le printemps, sans avions, sans voitures
Tandis qu’on se confine et qu’on se déconfit, quand la vieille voisine s’égosille
Et confie qu’il y a des cons finis, qui ignorent les consignes
Eux ils soignent
Ils soignent, ils suent
Ils soignent, ils souffrent
Subissent, supportent,
Mais sans cesse ils soignent.
Et grâce à eux au final
On gagne.
Analyse brève du slam
Tandis que nous chantons, certains soirs au balcon
Et que ceux qui comme moi, ne savent pas chanter
Essaient aussi parfois d’enchanter sans chanter
Pour que d’autres nous rejoignent…
Dans la première strophe, qui est un quatrain, Narcisse joue sur les répétitions du verbe « chanter » (x 3) et sur le verbe « enchanter » qui est bâti par l'ajout d'un préfixe (préfixation) : en-/chanter. Il associe ainsi le fait de s'exprimer, en chantant ou non, et de réjouir les autres : communiquer devient alors un acte de bienveillance.
Ici, le slameur se place du côté de ceux qui « ne savent pas chanter », en rapport avec sa poésie déclamée, à son slam. Il encourage par-là les gens qui ne peuvent pas s'exprimer à la manière des artistes à tout de même montrer leur soutien aux personnels soignant. Evidemment, cela fait référence aux applaudissements que beaucoup font à leurs fenêtres à 20h depuis le début du confinement : si tout le monde ne peut pas chanter ou faire des dons aux soignants, tout le monde peut les applaudir. Ces applaudissements rythment d'ailleurs le slam et lui donnent un impact plus profond sur ceux qui l'écoutent. Ils donnent envie d'accompagner le slameur et de participer à cette démonstration d'attention.
Motiver les gens à se rejoindre autour de l'hommage rendu aux soignants est le but de ce quatrain. Il veut montrer que malgré le confinement les pensées de tous les accompagnent. Il faut souligner que ce quatrain est très poétique puisque dès la première ligne (qui s'apparente d'ailleurs à un vers de douze syllabes, un alexandrin plus précisément) le slameur fait rimer « chantons » avec « balcon », « ceux qui » avec « aussi », « moi » avec « parfois », « chanter » avec « enchanter ». Ces rimes internes (homéotéleutes), font des paroles une ritournelle, comme une ancienne chanson, facile à apprendre et à répéter. Elle permettent de marquer les esprits.
Eux ils soignent
Cette phrase, très courte, simplement articulée à l'aide d'un pronom, d'un sujet et d'un verbe, est déclamée comme une conclusion au quatrain. Elle se détache du reste par sa brièveté mais également par la pause marquée par le slameur entre « eux » et « ils soignent ». Cette pause insiste sur l'importance des soignants et le fait qu'ils soient sur le terrain pendant que les gens les regardent par la fenêtre. Soudain, le verbe « soigner », cette action si précieuse pour la vie, devient réellement capital.
Et tandis qu’on dort même plus
Qu’on lit pour passer l’temps la Peste de Camus.
Tandis que nos enfants, coincés à la maison
Nous font prendre fermement la bonne résolution,
Qu’à la fin du printemps on fera sans façon
A tous les enseignants un bisou sur le front.
Parce que l’éducation par papa et maman
C’est une sacrée montagne
Dans la seconde strophe, Narcisse met en avant le quotidien des confinés et notamment des familles. Tout le monde manque d'exercices physiques donc « on dort même plus » et s'ennuie « on lit pour passer l'temps la Peste de Camus ».
La référence à ce roman de 1947 n'est évidemment pas anodine : dans La Peste, Camus évoque le quotidien des habitants d'Oran, ville d'Algérie, durant une terrible épidémie de peste. Ainsi, le slameur fait le parallèle entre cette maladie et le Coronavirus tout en insistant sur nos désœuvrement (ennui) et nos craintes (si on lit ce genre de roman en cette période, c'est peut-être pour tenter de trouver un peu de réconfort et quelques solutions par rapport au confinement).
Narcisse utilise ici un langage familier, en omettant la négation dans « on dort même plus » (normalement « on NE dort même plus ») et en tronquant l'article dans « l'temps ». Il imite sans doute le langage familier des familles dans le quotidien et l'intimité pour nous en rapprocher.
L'artiste évoque les difficultés face auxquelles les familles se retrouvent désormais. Elles peinent avec leurs enfants « coincés à la maison » car elles doivent s'en occuper toute la journée et même leur faire l'école à la maison. Il semble compatir mais également peut-être faire preuve d'ironie quand il parle de donner « un bisou sur le front » des enseignants pour les remercier de leur travail au quotidien. En effet, ce corps de métier est souvent décrié et il est courant de croire que les enseignants sont des « feignants ». Finalement, les familles qui doivent assurer le rôle des professeurs auprès de leurs enfants, en les aidant à prendre leurs cours, se rendent sans doute compte des difficultés du métier ou des caractères parfois peu évident de leurs protégés.
Eux ils soignent
Le refrain tombe sur la fin de cette strophe presque comme un rocher dans une flaque d'eau : pendant que les petites querelles et difficultés font bon ménage à la maison, certaines personnes « soignent » donc risquent leurs vies. Peut-être sont-elles bien plus à plaindre ? Narcisse le sous-entend sans doute.
Tandis que même passer dans les rues sans passants
Fait partie du passé.
Tandis qu’on n’a pas su, comment éviter ça
Ni comment s’en passer, qu’on n’a pas vu les signes.
Dans la troisième strophe, qui est un quatrain, Narcisse utilise la même technique que dans la première lorsqu'il joue sur les similitudes entre les mots « passer », « passants » et « passé ». Ils ont tous la même racine et leur sonorité rythme le quatrain.
Au passage, l'allitération en consonnes dures comme [p], [k] et [d] ainsi que l'assonance en [s] courent tout le long de la strophe, ce qui en fait une mélodie frappante, qui siffle à nos oreilles comme une menace ou un regret, et heurte nos sens comme pour nous rappeler nos erreurs en nous tapant sur les doigts. Nous n'avons « pas vu les signes », c'est une erreur d'avoir vécu sans soucis alors qu'une telle crise sanitaire nous faisait de l'oeil. Nous avons été ignorants, insouciants et aujourd'hui tout nous dépasse. La rue nous est interdite alors qu'on ne sais pas « comment s'en passer ». L'auteur insiste sur notre incapacité à prévoir de tels problèmes et sur nos habitudes et les besoins que nous nous sommes créés.
Eux ils soignent
Le refrain revient pour insister sur les soignants qui, eux, se battent malgré tout pour nous sortir de cette situation inédite, inattendue, dangereuse et finalement difficile à supporter.
Et tandis qu’on se plaint des lacunes de Pékin
De la bourse en piqué, Des coop sans PQ,
Des journées sans copains, Sans sortie en campagne,
Sans soirée au champagne…
La quatrième strophe est dédiées aux plaintes diverses et variées que les confinés, frustrés, ne cessent de déposer, dire, crier à tout va. Les gens se plaignent de tout : de la Chine qu'ils veulent culpabiliser et à laquelle ils font facilement un procès, de l'économie qui chute, des magasins manquent du nécessaire, de l'absence des amis, des promenades ou du champagne.
Narcisse ne choisit pas ses mots au hasard : il veut évidemment mettre en lumière l'égoïsme des râleurs, le manque de savoir vivre de ceux qui pillent les magasins, la cupidité des entreprises, la naïveté et l'insouciance des enfants, les réclamations déplacées dans un contexte aussi dangereux. On se bat pour du papier toilette alors qu'il y en a suffisamment, on veut du champagne alors que les gens meurent, on veut s'amuser, on cherche le coupable plutôt que de réfléchir...
Eux ils soignent
Le refrain rappelle que les soignants, eux, n'ont pas de temps à perdre avec ces considérations et qu'ils sont là pour sauver des vies. Ils s'occupent des victimes et sont eux-mêmes des victimes de la situation : eux, ils ne peuvent pas se plaindre, ce serait indécent. Eux, ils ont choisi de sauver et ils savent qu'il faut faire des sacrifices pour le bien commun.
Tandis que la nature prend enfin du bon temps
Un printemps dans le printemps, sans avions, sans voitures
Tandis qu’on se confine et qu’on se déconfit, quand la vieille voisine s’égosille
Et confie qu’il y a des cons finis, qui ignorent les consignes
La cinquième strophe met en avant deux choses : le fait que la nature respire enfin de ne plus voir l'être humain l'étouffer à coup de CO2, de transports, de bruit ; et le fait que ces derniers, eux, se trouvent bel et bien étouffés eux-mêmes, enfermés, bien tristes de ne plus pouvoir profiter d'elle.
Dans la première partie, Narcisse veut nous faire comprendre que la nature a besoin de respirer et qu'elle pourrait bien être la seule à se réjouir de ce confinement. Elle « prend enfin du bon temps ». Elle vit « un printemps dans le printemps », c'est-à-dire un vrai printemps, « sans avions, sans voitures », donc sans nous et sans pollution.
Dans la seconde partie, le slameur utilise la paronomase (mots qui se ressemblent) avec « confine », « déconfit », « confie » et « cons finis » pour montrer que nous nous répétons quelque peu dans nos erreurs et que la population commence à trouver l'enfermement insupportable. D'un coup, rester à la maison et ne plus avoir de lien avec les autres ou la nature nous fait réaliser l'importance des interactions sociales et de la nature.
Eux ils soignent
Ils soignent, ils suent
Ils soignent, ils souffrent
Subissent, supportent,
Mais sans cesse ils soignent.
Sur la fin, le refrain est accompagné d'un quatrain qui répète « soignent » pour insister encore sur l'importance de cette action. L'artiste joue de nouveau sur des allitération de consonnes dures, en , [p] et [r], ainsi que sur une allitération en [s] afin de donner de l'impact à ce passage. C'est une revendication de la valeur des soignants et de leurs actions. Le ton devient plus raide et les applaudissement en fond s'accélèrent. On sent l'urgence de comprendre cette valeur d'autant que Narcisse précise que ces personnels « souffrent », « subissent » et « supportent » sans rien dire, sans jamais cesser de persévérer dans leur métier et de nous sauver. Ils ont mille raisons de se plaindre et d'arrêter, mais pour nous, pour eux, pour l'humanité, ils trouvent le courage de continuer.
Et grâce à eux au final
On gagne.
Les deux dernières lignes sont porteuses d'un message d'espoir : nous allons gagner, « grâce à eux ». Narcisse fait rimer « soignent » avec « gagne » puisque c'est bien en soignant que nous viendrons à bout du virus et sauverons les plus vulnérables.
Conclusion
Le slameur semble vouloir nous dire que les personnels soignants méritent bien quelques applaudissements pour leur courage, leur détermination et leur rôle dans la crise sanitaire que nous traversons. Il a exposé ici toutes nos craintes et nos petits soucis du quotidien en tant que confinés pour les mettre en parallèle avec la cruelle réalité que les soignants affrontent de leur côté. Ainsi, il nous incite à les encourager mais aussi à tenir, comme eux, et à cesser de nous plaindre ou d'agir inconsciemment.
Si nous voulons gagner, respectons les protocoles, accommodons-nous des directives, trouvons des solutions sans nous exposer au danger et encourageons comme nous le pouvons les personnels qui travaillent d'arrache-pied pour nous sauver et nous sortir de cette crise.
Le COVID-19 est maintenant dans l'actualité depuis des semaines.
Comme beaucoup, vous suivez sans doute les informations, les réseaux sociaux et tout ce qui touche à ce virus terrible qui nous oblige à rester confinés chez nous.
Vous le savez, les personnels soignants sont les premiers au contact des malades. Leur travail au quotidien est formidable et difficile. Ils prennent beaucoup de risques pour eux-mêmes afin de soigner ceux qui souffrent.
Ce dévouement suscite l'admiration de nombreuses personnes et certains applaudissent même à leurs fenêtres, tous les soirs à 20h, pour les remercier.
Que vous soyez pour ou contre ce genre de manifestation, là n'est pas l'intérêt de cet article.
J'aimerais simplement partager avec vous le slam de Narcisse, Eux, ils soignent, qui, sur le plan technique et langagier, est très intéressant.
Qui est Narcisse ?
Narcisse, de son vrai nom Jean-Baptiste Humair, est un auteur, compositeur, musicien et slameur suisse né en 1967. Il a remporté le tournoi individuel de la Ligue slam de France en 2013.
Voir la page Wikipédia qui lui est destinée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Narcisse_(artiste)
Qu'est-ce que le Slam ?
Les 4èmes le savent, nous avons étudié deux slams de Grand Corps Malade (Roméo kiffe Juliette et Tant que les gens font l'amour), mais une révision ne fait jamais de mal et les 5èmes ont peut-être besoin de précisions.
Le slam naît à la fin des années 80 à Chicago.
Tout a commencé par des compétitions de poésie sur le modèle des matchs de boxe. En 1986, un poète de Chicago, Marc Smith, développe cet art et le fait connaître en dehors de la ville : New-York et d'autres villes suivent.
« Slam » est un terme qui désigne un claquement, un écrasement. L'étymologie montre l'idée de combat : les compétitions de slam sont des tournois de mots.
C'est une poésie orale totalement libre, très rythmée et « a cappella » (sans instrument).
Surtout déclamée dans des espaces publics (dans la rue, les bars, les cafés, les théâtres ou sur internet), cette poésie permet aux personnes sur scène de dire leur textes dans la forme qu'elles désirent (parlé, chanté, rythmé ou non...).
Ecoutez le slam de Narcisse et observez le texte :
Paroles du slam "Eux, ils soignent"
Tandis que nous chantons, certains soirs au balcon
Et que ceux qui comme moi, ne savent pas chanter
Essaient aussi parfois d’enchanter sans chanter
Pour que d’autres nous rejoignent…
Eux ils soignent
Et tandis qu’on dort même plus
Qu’on lit pour passer l’temps la Peste de Camus.
Tandis que nos enfants, coincés à la maison
Nous font prendre fermement la bonne résolution,
Qu’à la fin du printemps on fera sans façon
A tous les enseignants un bisou sur le front.
Parce que l’éducation par papa et maman
C’est une sacrée montagne
Eux ils soignent
Tandis que même passer dans les rues sans passants
Fait partie du passé.
Tandis qu’on n’a pas su, comment éviter ça
Ni comment s’en passer, qu’on n’a pas vu les signes.
Eux ils soignent
Et tandis qu’on se plaint des lacunes de Pékin
De la bourse en piqué, Des coop sans PQ,
Des journées sans copains, Sans sortie en campagne,
Sans soirée au champagne…
Eux ils soignent
Tandis que la nature prend enfin du bon temps
Un printemps dans le printemps, sans avions, sans voitures
Tandis qu’on se confine et qu’on se déconfit, quand la vieille voisine s’égosille
Et confie qu’il y a des cons finis, qui ignorent les consignes
Eux ils soignent
Ils soignent, ils suent
Ils soignent, ils souffrent
Subissent, supportent,
Mais sans cesse ils soignent.
Et grâce à eux au final
On gagne.
Analyse brève du slam
Tandis que nous chantons, certains soirs au balcon
Et que ceux qui comme moi, ne savent pas chanter
Essaient aussi parfois d’enchanter sans chanter
Pour que d’autres nous rejoignent…
Dans la première strophe, qui est un quatrain, Narcisse joue sur les répétitions du verbe « chanter » (x 3) et sur le verbe « enchanter » qui est bâti par l'ajout d'un préfixe (préfixation) : en-/chanter. Il associe ainsi le fait de s'exprimer, en chantant ou non, et de réjouir les autres : communiquer devient alors un acte de bienveillance.
Ici, le slameur se place du côté de ceux qui « ne savent pas chanter », en rapport avec sa poésie déclamée, à son slam. Il encourage par-là les gens qui ne peuvent pas s'exprimer à la manière des artistes à tout de même montrer leur soutien aux personnels soignant. Evidemment, cela fait référence aux applaudissements que beaucoup font à leurs fenêtres à 20h depuis le début du confinement : si tout le monde ne peut pas chanter ou faire des dons aux soignants, tout le monde peut les applaudir. Ces applaudissements rythment d'ailleurs le slam et lui donnent un impact plus profond sur ceux qui l'écoutent. Ils donnent envie d'accompagner le slameur et de participer à cette démonstration d'attention.
Motiver les gens à se rejoindre autour de l'hommage rendu aux soignants est le but de ce quatrain. Il veut montrer que malgré le confinement les pensées de tous les accompagnent. Il faut souligner que ce quatrain est très poétique puisque dès la première ligne (qui s'apparente d'ailleurs à un vers de douze syllabes, un alexandrin plus précisément) le slameur fait rimer « chantons » avec « balcon », « ceux qui » avec « aussi », « moi » avec « parfois », « chanter » avec « enchanter ». Ces rimes internes (homéotéleutes), font des paroles une ritournelle, comme une ancienne chanson, facile à apprendre et à répéter. Elle permettent de marquer les esprits.
Eux ils soignent
Cette phrase, très courte, simplement articulée à l'aide d'un pronom, d'un sujet et d'un verbe, est déclamée comme une conclusion au quatrain. Elle se détache du reste par sa brièveté mais également par la pause marquée par le slameur entre « eux » et « ils soignent ». Cette pause insiste sur l'importance des soignants et le fait qu'ils soient sur le terrain pendant que les gens les regardent par la fenêtre. Soudain, le verbe « soigner », cette action si précieuse pour la vie, devient réellement capital.
Et tandis qu’on dort même plus
Qu’on lit pour passer l’temps la Peste de Camus.
Tandis que nos enfants, coincés à la maison
Nous font prendre fermement la bonne résolution,
Qu’à la fin du printemps on fera sans façon
A tous les enseignants un bisou sur le front.
Parce que l’éducation par papa et maman
C’est une sacrée montagne
Dans la seconde strophe, Narcisse met en avant le quotidien des confinés et notamment des familles. Tout le monde manque d'exercices physiques donc « on dort même plus » et s'ennuie « on lit pour passer l'temps la Peste de Camus ».
La référence à ce roman de 1947 n'est évidemment pas anodine : dans La Peste, Camus évoque le quotidien des habitants d'Oran, ville d'Algérie, durant une terrible épidémie de peste. Ainsi, le slameur fait le parallèle entre cette maladie et le Coronavirus tout en insistant sur nos désœuvrement (ennui) et nos craintes (si on lit ce genre de roman en cette période, c'est peut-être pour tenter de trouver un peu de réconfort et quelques solutions par rapport au confinement).
Narcisse utilise ici un langage familier, en omettant la négation dans « on dort même plus » (normalement « on NE dort même plus ») et en tronquant l'article dans « l'temps ». Il imite sans doute le langage familier des familles dans le quotidien et l'intimité pour nous en rapprocher.
L'artiste évoque les difficultés face auxquelles les familles se retrouvent désormais. Elles peinent avec leurs enfants « coincés à la maison » car elles doivent s'en occuper toute la journée et même leur faire l'école à la maison. Il semble compatir mais également peut-être faire preuve d'ironie quand il parle de donner « un bisou sur le front » des enseignants pour les remercier de leur travail au quotidien. En effet, ce corps de métier est souvent décrié et il est courant de croire que les enseignants sont des « feignants ». Finalement, les familles qui doivent assurer le rôle des professeurs auprès de leurs enfants, en les aidant à prendre leurs cours, se rendent sans doute compte des difficultés du métier ou des caractères parfois peu évident de leurs protégés.
Eux ils soignent
Le refrain tombe sur la fin de cette strophe presque comme un rocher dans une flaque d'eau : pendant que les petites querelles et difficultés font bon ménage à la maison, certaines personnes « soignent » donc risquent leurs vies. Peut-être sont-elles bien plus à plaindre ? Narcisse le sous-entend sans doute.
Tandis que même passer dans les rues sans passants
Fait partie du passé.
Tandis qu’on n’a pas su, comment éviter ça
Ni comment s’en passer, qu’on n’a pas vu les signes.
Dans la troisième strophe, qui est un quatrain, Narcisse utilise la même technique que dans la première lorsqu'il joue sur les similitudes entre les mots « passer », « passants » et « passé ». Ils ont tous la même racine et leur sonorité rythme le quatrain.
Au passage, l'allitération en consonnes dures comme [p], [k] et [d] ainsi que l'assonance en [s] courent tout le long de la strophe, ce qui en fait une mélodie frappante, qui siffle à nos oreilles comme une menace ou un regret, et heurte nos sens comme pour nous rappeler nos erreurs en nous tapant sur les doigts. Nous n'avons « pas vu les signes », c'est une erreur d'avoir vécu sans soucis alors qu'une telle crise sanitaire nous faisait de l'oeil. Nous avons été ignorants, insouciants et aujourd'hui tout nous dépasse. La rue nous est interdite alors qu'on ne sais pas « comment s'en passer ». L'auteur insiste sur notre incapacité à prévoir de tels problèmes et sur nos habitudes et les besoins que nous nous sommes créés.
Eux ils soignent
Le refrain revient pour insister sur les soignants qui, eux, se battent malgré tout pour nous sortir de cette situation inédite, inattendue, dangereuse et finalement difficile à supporter.
Et tandis qu’on se plaint des lacunes de Pékin
De la bourse en piqué, Des coop sans PQ,
Des journées sans copains, Sans sortie en campagne,
Sans soirée au champagne…
La quatrième strophe est dédiées aux plaintes diverses et variées que les confinés, frustrés, ne cessent de déposer, dire, crier à tout va. Les gens se plaignent de tout : de la Chine qu'ils veulent culpabiliser et à laquelle ils font facilement un procès, de l'économie qui chute, des magasins manquent du nécessaire, de l'absence des amis, des promenades ou du champagne.
Narcisse ne choisit pas ses mots au hasard : il veut évidemment mettre en lumière l'égoïsme des râleurs, le manque de savoir vivre de ceux qui pillent les magasins, la cupidité des entreprises, la naïveté et l'insouciance des enfants, les réclamations déplacées dans un contexte aussi dangereux. On se bat pour du papier toilette alors qu'il y en a suffisamment, on veut du champagne alors que les gens meurent, on veut s'amuser, on cherche le coupable plutôt que de réfléchir...
Eux ils soignent
Le refrain rappelle que les soignants, eux, n'ont pas de temps à perdre avec ces considérations et qu'ils sont là pour sauver des vies. Ils s'occupent des victimes et sont eux-mêmes des victimes de la situation : eux, ils ne peuvent pas se plaindre, ce serait indécent. Eux, ils ont choisi de sauver et ils savent qu'il faut faire des sacrifices pour le bien commun.
Tandis que la nature prend enfin du bon temps
Un printemps dans le printemps, sans avions, sans voitures
Tandis qu’on se confine et qu’on se déconfit, quand la vieille voisine s’égosille
Et confie qu’il y a des cons finis, qui ignorent les consignes
La cinquième strophe met en avant deux choses : le fait que la nature respire enfin de ne plus voir l'être humain l'étouffer à coup de CO2, de transports, de bruit ; et le fait que ces derniers, eux, se trouvent bel et bien étouffés eux-mêmes, enfermés, bien tristes de ne plus pouvoir profiter d'elle.
Dans la première partie, Narcisse veut nous faire comprendre que la nature a besoin de respirer et qu'elle pourrait bien être la seule à se réjouir de ce confinement. Elle « prend enfin du bon temps ». Elle vit « un printemps dans le printemps », c'est-à-dire un vrai printemps, « sans avions, sans voitures », donc sans nous et sans pollution.
Dans la seconde partie, le slameur utilise la paronomase (mots qui se ressemblent) avec « confine », « déconfit », « confie » et « cons finis » pour montrer que nous nous répétons quelque peu dans nos erreurs et que la population commence à trouver l'enfermement insupportable. D'un coup, rester à la maison et ne plus avoir de lien avec les autres ou la nature nous fait réaliser l'importance des interactions sociales et de la nature.
Eux ils soignent
Ils soignent, ils suent
Ils soignent, ils souffrent
Subissent, supportent,
Mais sans cesse ils soignent.
Sur la fin, le refrain est accompagné d'un quatrain qui répète « soignent » pour insister encore sur l'importance de cette action. L'artiste joue de nouveau sur des allitération de consonnes dures, en , [p] et [r], ainsi que sur une allitération en [s] afin de donner de l'impact à ce passage. C'est une revendication de la valeur des soignants et de leurs actions. Le ton devient plus raide et les applaudissement en fond s'accélèrent. On sent l'urgence de comprendre cette valeur d'autant que Narcisse précise que ces personnels « souffrent », « subissent » et « supportent » sans rien dire, sans jamais cesser de persévérer dans leur métier et de nous sauver. Ils ont mille raisons de se plaindre et d'arrêter, mais pour nous, pour eux, pour l'humanité, ils trouvent le courage de continuer.
Et grâce à eux au final
On gagne.
Les deux dernières lignes sont porteuses d'un message d'espoir : nous allons gagner, « grâce à eux ». Narcisse fait rimer « soignent » avec « gagne » puisque c'est bien en soignant que nous viendrons à bout du virus et sauverons les plus vulnérables.
Conclusion
Le slameur semble vouloir nous dire que les personnels soignants méritent bien quelques applaudissements pour leur courage, leur détermination et leur rôle dans la crise sanitaire que nous traversons. Il a exposé ici toutes nos craintes et nos petits soucis du quotidien en tant que confinés pour les mettre en parallèle avec la cruelle réalité que les soignants affrontent de leur côté. Ainsi, il nous incite à les encourager mais aussi à tenir, comme eux, et à cesser de nous plaindre ou d'agir inconsciemment.
Si nous voulons gagner, respectons les protocoles, accommodons-nous des directives, trouvons des solutions sans nous exposer au danger et encourageons comme nous le pouvons les personnels qui travaillent d'arrache-pied pour nous sauver et nous sortir de cette crise.
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